Trophée du Petit Vignemale 2018

Je crois que « mon » trophée du Vignemale a réellement commencé le samedi 8 juillet 2017, pendant la course des Refuges, la météo est maussade depuis le refuge Wallon, pour ne pas dire exécrable ; je viens de passer le col d’Aratille dans la neige, celui des mulets dans la brume et j’entame la descente vers les Oulettes… tout d’un coup, sur ma droite, le ciel se dégage et me laisse voir la silhouette du Vignemale… clic clac kodak, l’image s’enregistre dans mon cerveau et vient se ranger dans la boite à souvenirs. Lors de l’arrivée à Cauterets, j’entends parler du retour du Trophée du Grand Vignemale pour l’année suivante : c’est sûr j’en serai !
Quelques semaines plus tard, je commence à me renseigner sur la course, histoire de savoir où je vais mettre les pieds… c’est sûr, c’est trop gros, trop dur, trop difficile pour moi… enfin, c’est surtout les barrières horaires qui sont surtout trop relevé…
Finalement, lorsque les infos sortent et que je vois cette course du Petit Vignemale, ça fait tilt – même avec une BH à 4h30 au sommet, j’en serai avec un seul objectif : passer le sommet en moins de 4h30 et ramener le dossard au village.

Samedi 7 juillet 2018 – 8h30 : je retrouve mon pote Pierre, partenaire de trail depuis mes débuts, adversaire dans la bonne humeur et la fraternité, et Fred, lui aussi adversaire et partenaire, mais de rugby.
Le départ est donné à 9h, et très vite, je sens quelqu’un me taper sur l’épaule : c’est Jean-Pierre, que j’ai croisé 2 semaines avant sur une sortie aux Oulettes que nous avions partagé ensemble… on discute un peu et puis chacun rentre dans sa course… comme d’habitude, je me laisse décrocher en montée par mes camarades, mais bon comme d’habitude, je ne m’affole pas. Entre Gaube et les Oulettes, sur un appui un peu fort, je sens mon mollet droit se raidir d’une crampe, puis c’est le tendon du genou gauche qui tiraille quelques kilomètres plus loin : comme sensation, on a déjà fait beaucoup mieux, alors que mes temps de passage à Gaube puis aux Oulettes sont alignées avec mes prévisions. Au ravito, des Oulettes, je prends le temps d’observer le sommet où l’on va et en me retournant, je vois un joli maillot bleu de la Montardonnaise 2017 qui arrive… je trouve l’image sympa, comme une bonne blague de pote « n’oublie pas les copains des MDA !!! »
Dans la montée vers la hourquette d’ossoue, je monte en pilotage automatique mais j’ai l’impression de pas être comme d’habitude, de manquer de gaz, les jambes avancent mais je n’ai pas de sensations, l’altitude certainement. Ma tête commence à bourdonner puis ça passe, mon mollet gauche se tend, puis c’est au tour de ma cuisse, les genoux grincent, comme si chaque partie de mon corps avait décidé aujourd’hui de m’emm….er. Combien de temps ça dure, je ne saurai le dire, 20 minutes, peut-être plus. Mais pas le temps de tergiverser, viennent les premiers mousquetonnages et encordages, je fais quelques longueurs et me vautre… et là c’est une nouvelle course qui commence. Mon cerveau qui était en dilettante depuis le départ, profitant certainement de connaître le parcours, reprend les commandes : je remonte hyper rapidement les 2 mètres qui me sépare du chemin, me remotive, me reconcentre, arrache mon dossard qui menaçait de partir (c’est con, mais aujourd’hui, c’est lui qui compte le plus !!), le range dans ma veste et je reviens sur le gars qui me précède. Je fais la fin de la partie encordée sans faire de fautes de pied. Arrivé à la Hourquette d’Ossoue, j’entends un guide annoncer que la BH qui est ici ferme dans un ¼ d’heure : j’avais pas en tête une BH ici, mais ça me détend du coup. J’attaque la partie sommitale, il me reste 45 minutes pour arriver en haut, j’ai l’impression d’être dans le coup même si on s’attaque à un mur. On croise ceux qui redescendent du sommet dans ce couloir et dans le brouhaha des voix j’entends que c’est jouable pour la BH au sommet, je comprends plus rien, enfin si je comprends que c’est maintenant que ça se joue. Je vois Jean-Pierre, puis Pierre puis Fred qui redescendent, on m’annonce des temps pour arriver au sommet «10 minutes, 10 minutes, 10 minutes » mais « bor..el, ça fait 10 minutes qu’on nous annonce 10 minutes ». Trop d’infos tue l’info, conjugué à l’altitude, j’ai l’impression de ne rien comprendre, enfin si, il faut avancer, j’accélère encore le rythme dans la montée, je double un peu… et puis « 20, 19,18… » j’entends un bénévole qui fait le décompte de la BH, je vois une rubalise blanche et rouge au sol « c’est ici le sommet », tout se bouscule dans mon cerveau, devant moi un mec crie « je m’en fous de la BH, si je la passe pas, je rentrerai quand même à Cauterets ».
Mais moi, c’est pas ça que je suis venu cherché, j’ai pas fait 4h30 de course pour me faire arracher le dossard en haut, j’ai pas écumé la montagne depuis janvier pour venir mourir à quelques mètres, je me suis pas imposé des séances à la con sous la pluie, le froid, la nuit, la neige pour être mis hors course ici, c’est pas moi ça… l’instinct prend le dessus : j’empoigne mes 2 bâtons, me mets à 4 pattes et pique un sprint jusqu’au sommet « 10,9,8 »… je me relève « où est votre dossard, il faut que je vous bippe sinon vous êtes hors course »… le dossard où je l’ai mis put…, dans la poche de la veste, je l’arrache et entend « bip », je fais 2 pas, m’assoies sur la première pierre venu « on laisse passer les 3 filles et on ferme »… il y a du bruit là haut, des mecs se congratulent, se prennent en photo, sautent de joie, mais je suis comme étranger à ce manège… pourquoi, comment, je n’en sais rien, les émotions remontent, j’ai un nœud dans la gorge… « prenez des photos, c’est superbe », non je n’en prendrai pas : depuis le début, mes yeux enregistrent mais le portable reste dans la poche… je me relève et vois le lac de Gaube, j’ai l’impression de voir une tâche, je veux scruter l’horizon pour voir les sommets voisins que j’ai appris à connaître vu d’en bas, mais mon cerveau n’imprime plus, je crois que je n’ai même pas vu Pique Longue, je suis anesthésié et pourtant il faut rentrer.
La première partie de la descente est affreuse : mes jambes ne comprennent pas que la montée est terminée. Elles refusent de faire ce que j’aime le plus… courir en descente, jouer avec le terrain… mon cerveau est absent, comme s’il avait fait le taf et que plus rien ne comptait. Même la séance de luge ne me réveille pas. Dans la descente vers le col d’Arraillé, re-encordage et mousquetonnage, devant ça avance pas vite mais plus aucun sentiment ne m’habite, je pense à ma petite famille que je vais retrouver. Je pense à Pierre qui est devant, irrattrapable pour moi, et à Fred. Je pense aux copains du mercredi etceux des sorties improbables du vendredi soir, je me refais le film des sorties d’entrainement avec les uns et les autres pendant que les 2 mecs devant bataillent pour s’encorder. Dès que le terrain le permet, je me remets à courir mais quelque chose à changer : les jambes sont là et le mental est regonflé à bloc !!! ça y elles ont compris… j’avale la montée dans le col d’Araillé à l’aise, comme à l’entrainement. Au sommet, je discute avec un guide puis nouvelle session de luge jusqu’à entendre Fred qui me hèle 10 mètres plus haut dans le pierrier… « tiens j’ai raté la sortie ». Je le rejoins et commence à descendre avec lui, je lui propose de s’accrocher avec moi, mais lorsque je me retourne je ne le vois plus, je suis un peu triste pour lui… ça y est, je suis enfin chez moi, mon terrain de jeu favori, un bon single de montagne en descente avec de la pierraille, les jambes répondent, le cerveau aussi, le plaisir est là, décuplé… j’arrive à Estom pour un ravito express et j’enquille la descente vers la Fruitière, je double pas mal, sauf sur les parties plates (on se refait pas)… à partir de la Fruitière, ma tête lâche, je croise Clément des MdA que je mets un temps fou à reconnaître, un gars s’accroche à mes basques, puis me double, j’essaye de suivre mais je puise trop… le chemin des Pères, un de mes lieux favoris pour la balade familiale, mais aujourd’hui, je ne reconnais même pas le sentier, je découvre des lacets, des cailloux que j’avais jamais vu, … les Thermes de Pauze, je suis juste au-dessus de Cauterets, les derniers lacets, je vois du monde devant, mais contrairement à l’an dernier, je ne peux plus accélérer, je rentre dans le village, j’entends Pierre mais la crampe au mollet droit remonte, la même qu’après Gaube !!! je passe devant la famille, Gaelle dit à Arthur de me suivre mais il démarre pas le coquin ! je mets 10 mètres à m’arrêter pour revenir le chercher et le faire finir avec moi… on court ensemble, je vois l’arche mais surtout son sourire… clic clac kodak, elle est là mon image du jour !!
Au final, 7h44 de course, 2280m de D+, 2280m de D-, 172ème au sommet, 125ème à l’arrivée, 227 partants, 181 arrivants, mon premier 3000… bref des chiffres qui pour moi ne veulent rien dire… c’est pas pour ça que j’étais venu…
J’ai ramené mon dossard à Cauterets en me faisant plaisir avant, pendant et après… j’ai rempli mon cerveau de souvenirs, de sentiments, d’images… c’est ça que j’étais venu cherché…

Olivier BORREDON

Share This